dimanche 16 avril 2017

Présidentielle. Plongée au cœur de la France abstentionniste

Au bureau n°1 à Roubaix, il règne un calme olympien. Et pourtant, "ça vote bien ce matin", comparé à 2011. "Si on fait 25% (de participation) on est contents". CREDIT David Pauwels

Au bureau n°1 à Roubaix, il règne un calme olympien. Et pourtant, "ça vote bien ce matin", comparé à 2011. "Si on fait 25% (de participation) on est contents". CREDIT David Pauwels
Jeunes, quartiers populaires, ouvriers… l’électorat de gauche serait le plus tenté par l’abstention, qui pourrait atteindre de nouveaux records pour une élection présidentielle. Reportage.
« Je regarde ça de loin. J’entends beaucoup parler des efforts que nous devrions faire, mais c’est déjà le cas, non ? » Et puis « la gauche est triste, dit-il… Et même si ­Emmanuel Macron a de bonnes idées, on ne vit pas dans le même monde ». N’est-il pas là d’abord le malaise, dans une offre politique qui, sous l’apparence de son étendue avec onze candidats en présence, peine à rassembler les suffrages ?
Martine, 47 ans, chef d’équipe aux chantiers navals STX de Saint-Nazaire, est « désabusée » d’entendre ses collègues dans les ateliers dire que, « finalement, entre la gauche et la droite, il n’y a pas tant de différence ». Elle qui a voté pour François Hollande pour finalement devoir manifester contre la loi travail a « pris un coup de massue » quand a été utilisé le 49-3. Le candidat sorti de la primaire, Benoît Hamon, n’y a rien changé. « Il n’aime pas le travail, ni les ouvriers en proposant son revenu universel. »
Chez les ouvriers de STX, l’abstention semble être aussi le choix majoritaire. Alors que, en 2012, dans ce fief socialiste, la participation avait frôlé les 80 %, François Hollande était arrivé en tête au premier tour avec 37,95 %, loin devant Nicolas Sarkozy (19,6 %) et Jean-Luc Mélenchon (15,05 %). Au second tour, Hollande avait même atteint 66 % des suffrages. Puis, d’élection en élection, les électeurs de gauche ont boudé les urnes. Lors des dernières municipales, seuls 66 % se sont déplacés. Dans les bureaux de vote où le taux de participation se situait sous la moyenne, la liste frontiste était arrivée à la deuxième place. Qualifié au second tour dans une triangulaire, le FN a fait son entrée au conseil municipal. Une première.

François Hollande « n’a rien fait » depuis 2012

Aller à la rencontre des abstentionnistes, c’est mesurer les ravages d’un quinquennat considéré comme perdu par ce qui devait en être le cœur, jeunesse et classes populaires. C’est précisément parce que François Hollande « n’a rien fait » depuis 2012 qu’Amine, 22 ans, habitant Tourcoing (Nord), s’abstiendra le 23 avril. Son ami Abdel Wahid, 23 ans, acquiesce : il a bien « essayé de (s)’informer », mais il ressent aujourd’hui du ­dégoût devant « les affaires d’escroquerie ». Amine ajoute : « Je suis d’origine maghrébine et j’ai du mal à entrer dans le monde professionnel. Je me suis réorienté grâce à la mission locale dans une formation de plomberie, alors que j’ai un bac pro de comptabilité, mais il n’y a pas de boulot. » Avec son CDD de trois ans d’animateur dans plusieurs centres sociaux de Tourcoing, Abdel Wahid fait des envieux et sent « de la frustration » autour de lui.
Assis sur les marches de la mairie de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Elyas dit aussi ce rendez-vous manqué avec la jeunesse, il dit « avoir cru au changement », dans cette commune qui avait voté François Hollande à près de 78 % au second tour en 2012. Rictus : « Mais je ne savais pas que c’était le changement de la gauche en droite. » La colère est palpable. Et l’enchaînement des affaires n’y est pas pour rien. « Nous, lorsqu’on fait des conneries, on va direct en prison. » « De toute façon, tout se joue à Bruxelles », s’agace une quadragénaire qui coupe court à la conversation devant la mairie du 18e arrondissement de Paris.

« Surtout que nos jeunes, eux, ne trouvent pas de boulot »

Revenant encore sur les dernières municipales, les observateurs Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen relèvent combien l’abstention joue désormais sur l’issue du scrutin. La mobilisation différentielle, c’est-à-dire que les différents électorats ne s’abstiennent pas dans les mêmes proportions, à l’œuvre lors des municipales en 2014 a ainsi vu l’électorat de gauche démobilisé, tandis que, avec le même nombre de voix qu’en 2008, la droite raflait de nombreuses villes. « La gauche a échoué à faire voter nombre des segments de son électorat ­sociologiquement composite », écrivent les politologues. Aujourd’hui, cette mobilisation différentielle avantage Marine Le Pen, tandis que, en prenant le pourcentage des inscrits, le FN est simplement passé entre 2002 et 2012 de 11,5 % à 13,95 %. « Pour schématiser, le retraité cadre, diplômé et propriétaire de son logement vote, quand le jeune avec un bac pro, vivant en banlieue, s’abstient », résume au Télégramme Jean-Yves Dormagen. « Surtout que nos jeunes, eux, ne trouvent pas de boulot », acquiesce Yves à Saint-Nazaire. Depuis le retour des commandes, les syndicats exigent plus d’emplois en CDI. La réponse du gouvernement ­actionnaire à 33 % a été la création d’un CDI de chantier. Un contrat qui peut s’arrêter à tout moment en supprimant les primes de précarité.

Des initiatives locales pour combattre le défaitisme

Le lundi est jour de marché au centre-ville de Tourcoing. Dans cette ville, l’abstention a atteint 32 % au premier tour de la présidentielle de 2012 et 61 % au premier tour des régionales de 2015. Daniel arbore un badge « Challenge citoyen », une initiative venue des quartiers pour combattre l’abstention (voir notre reportage à Marseille page 6). Ce retraité, qui a travaillé « un peu partout », est membre du conseil de quartier de la Bourgogne, un des plus défavorisés de Tourcoing, où un des bureaux de vote a culminé à 76 % d’abstention aux régionales. « Aller voter, c’est un devoir ! » lance-t-il d’emblée. Avant de lâcher : « Les candidats nous font des ­promesses qu’ils ne tiennent pas… » Même lui… Place du Front-Populaire à Saint-Denis, le débat lancé passionne très vite trois amis. « Attends, que le premier tour ne t’intéresse pas, c’est une chose. Mais au deuxième, moi, j’irai voter contre la facho quoi qu’il arrive ! » affirme Iris. « Même si c’est pour voter pour un escroc ? » raille Onur. « C’est toujours moins pire ! » assène la jeune fille. À côté, Renaud fait de l’abstention une arme politique : « Plus elle sera forte, et plus le message envoyé sera fort. » « C’est un piège, relance Iris, ça n’empêche pas qu’il y aura un gagnant à la fin. Jean-Luc Mélenchon au moins, il propose de changer la règle du jeu, c’est pas rien. Lisez au moins les programmes avant de décider de ne pas voter. » Tout n’est pas perdu ?
L'humanité.fr

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