jeudi 2 juillet 2015

Ces Franco-Algériens qui s’installent en Algérie

Dans le centre d’Alger, en octobre 2014.
Dans son agence de communication située dans le quartier huppé de Dely Brahim, Lamia dirige ses affaires d’une main de fer. Elle s’absente rarement du bureau, entretient son réseau algérois avec soin et encadre ses équipes avec fermeté. Elle a quitté la France il y a dix ans pour une nouvelle aventure en Algérie et a ouvert il y a cinq ans sa propre agence de communication spécialisée dans l’événementiel et la communication d’entreprise.
« En France, je travaillais pour de grands groupes de restauration et mon ambition était de décrocher un poste au siège. Je n’ai pas eu cet emploi, probablement, parce que j’ai des origines étrangères », indique cette Franco-Algérienne. L’événement agit comme un électrochoc et Lamia se tourne vers son pays d’origine.
Lamia fait partie de la première vague de cette immigration inversée. De nombreux jeunes Franco-Algériens ayant grandi en France viennent tenter leur chance à Alger ou Oran. Ils sont diplômés et leur recrutement par les entreprises algériennes n’est qu’une formalité. Expatriés sur la terre de leurs grands-parents, ils intègrent divers milieux professionnels : la communication, le marketing, le journalisme ou lancent leur propre affaire. Pour eux, l’Algérie est synonyme d’opportunités.

Des objectifs professionnels

Diplômé d’une grande école de commerce en France, Mohamed est recruté par un cabinet de consulting à Paris et travaille entre les deux pays. De l’Algérie des vacances, il découvre celle des affaires. « Le contenu des missions est plus intéressant qu’en France où le marché est mature. L’Algérie a un marché exponentiel, alors comment gérer cette croissance ? J’ai trouvé qu’il y avait une place intéressante à se faire dans le conseil », raconte Mohamed, 34 ans. Depuis, il s’est installé à Alger où il est à la tête de son propre cabinet de consulting. « Avoir les deux cultures est un avantage. Mon cabinet a vraiment pu décoller grâce aux entreprises françaises et en même temps notre argument est d’être une boîte algérienne », souligne-t-il.
« Au début, il est difficile de se faire des contacts. A cela, s’ajoute le problème d’accès à l’information. On apprend à être patient », raconte Lamia. Le défi est de revoir ses méthodes de travail et sa façon de manager. Cependant, les nouveaux arrivants gagnent rapidement en responsabilité, en autonomie et exercent leur métier de façon plus flexible. « On apprend à connaître les gens avec lesquels on travaille et une fois qu’on a gagné leur confiance, ils s’engagent », assure Mohamed.
Certes, dans le domaine professionnel, l’intégration est immédiate. Ces jeunes sont une main-d’œuvre qualifiée qui vient pallier le déficit de compétences dans certains secteurs en pleine croissance, tel que le numérique ou la publicité, mais dans la vie quotidienne leur acclimatation est plus délicate.

« Retour ou immigration ? »

Le voyage d’un pays à l’autre est un grand saut dans l’inconnu. « Je me sens bâtarde ! En arrivant ici, on déchante. Les codes ne sont pas les mêmes et il faut se rééduquer », estime Lamia. Ce n’est pas facile de trouver un équilibre entre ses deux cultures et nombreuses sont les règles à ne pas transgresser.
« Ma liberté me manque. Ne serait-ce que rigoler et parler fort, ce n’est pas quelque chose d’anodin ici », explique Sonia(*), 26 ans, arrivée il y a six mois à Alger pour entamer une carrière de journaliste. Le style de vie change radicalement et des concessions sont faites sur la qualité de vie. Lamia a d’ailleurs créé un réseau pour les femmes algériennes actives, le Ladies Business Club pour s’entraider professionnellement. Une façon de contrer le manque de loisirs.
L’anthropologue Giulia Fabbiano étudie ce phénomène de migration du nord vers le sud. Selon elle, le phénomène relativement récent (les années 2000) s’inscrit dans le même contexte d’expatriation des Français à l’étranger. Néanmoins, dans le cas des Franco-Algériens, le flux est difficile à quantifier en raison de leur double nationalité. La population étudiée par la chercheuse est assez jeune, diplômée et l’Algérie ne représente pas leur première expérience internationale.
« Ce n’est pas tant un appel des origines, qu’un concours d’opportunités. Ces personnes ne sont pas dans un face-à-face entre l’Algérie et la France, mais dans une internationalisation des parcours. L’Algérie est un tremplin, souligne Giulia Fabbiano. Toutefois, leur identité binationale qui n’existe pas en France se forge en Algérie où ils apprennent à cerner leur étrangeté. »
D’ailleurs, le phénomène d’immigration inversée ne se limite pas seulement à l’Algérie mais touche également les autres pays du Maghreb à l’instar de la Tunisie dont une partie de la diaspora a regagné le pays depuis la révolution de 2011. Quant aux binationaux arrivés en Algérie pour booster leur carrière, ils ne sont pas destinés à y rester. Qualité de vie insuffisante, absence d’une politique à destination de la diaspora, rares sont ceux qui font exception à la règle pour s’installer durablement au pays des origines.
Le Monde Afrique

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