À LILLE: «ON A TOUS UN RÔLE À JOUER»

Pôle Emploi de Lille Fives, à midi. Dehors, il pleut des cordes. On ne sait pas trop où faire la minute de silence. Dans une salle de réunion, sans les chômeurs, ou dans le hall, avec eux ? Ce sera dans le hall, décide la directrice, Fabienne Lelong. Mohamed, maçon-finisseur, a rendez-vous. On lui annonce la minute de silence à venir, ses yeux s’embuent : «Ceux qui ont fait ça ne sont pas humains. Leur corps, oui, mais pas leur cœur. Faire disparaître des personnes de la vie sans aucun motif, on ne peut même pas le penser.» Il ajoute : «Journalistes, maçons, ouvriers, policiers, on est ensemble. On a tous un rôle à jouer, on peut pas nous séparer.» L’église toute proche sonne le glas, et la caserne des pompiers d’en face fait retentir sa sirène. Une dizaine de salariés et de chômeurs en cercle, debout dans le hall.
People observe a minute of silence in Lille on January 8, 2015 for the victims of an attack by armed gunmen on the offices of French satirical newspaper Charlie Hebdo in Paris on January 7 which left at least 12 dead and many others injured.  France observed a minute of silence Thursday, broken only by church bells, in honour of the 12 people killed by apparent jihadists at a magazine known for publishing cartoons deemed offensive to Islam. At midday (1100 GMT), crowds of people stood silently in public squA Lille. Photo AFP
Deux femmes se tiennent par le bras. Mohamed reste en retrait, il ne veut pas être sur la photo. Corinne, cadre dans l’insertion en recherche d’emploi aussi, s’approche. Elle était place de la République la veille, contre «tout ce qui arrive. J’avais déjà été indignée par la mort d’Hervé Gourdel». Elle ne lisait pas Charlie Hebdo.«Je l’achèterai.» Emu aux larmes à la fin du recueillement, Mohamed secoue la tête et répète : «C’est pas possible. C’est pas possible.» Les salariés de Pôle Emploi n’ont pas été autorisés à parler à Libération.
Haydée Sabéran (à Lille)

À GRENOBLE: «JE SUIS "CHARLIE"… ET C’EST PAS FINI»

La sonnerie de l’intercours de midi retentit et en quelques minutes la cour d’honneur du lycée Champollion, au centre-ville de Grenoble, est noire de monde. Quelque 700 lycéens sont là, plus du tiers des 1 800 élèves de l’établissement. La cour est pleine, les coursives ouvertes à l’étage également. Au pied de la statue de Champollion, ornée d’un brassard «Je suis Charlie», un pupitre et une sono ont été installés. Dix jeunes, élus du Conseil de vie lycéenne et de l’association La maison des lycéens, tous vêtus de noir, se serrent les uns contre les autres derrière le pupitre. Ils ont spontanément sollicité le proviseur, de bon matin, pour prendre la parole, orner la porte d’entrée du lycée d’une grande banderole de papier, aux couleurs vives, «Je suis Charlie… et c’est pas fini», afficher les portraits de Wolinski, Charb, Cabu et Maris dans l’entrée. Leur représentante, lycéenne blonde à keffieh, prend le micro, émue : «Nous sommes réunis ici, en dépit de nos différences de pensée ou d’idéaux, au nom de la liberté d’expression.» Elle égrène dans un silence total le nom des 12 victimes de l’attentat, «morts pour nos libertés». Elle dénonce «l’atteinte à la République et à l’esprit de 1789», cite la Déclaration des droits de l’homme et conclut : «Nous sommes la République de demain et sommes plus que tout attachés à la liberté.»
Le proviseur, Alain Mattone, prend le relais : «La République a besoin de grands hommes. Ces martyrs de la liberté sont de ceux-là.» Il cite Jaurès, avant d’appeler à la minute de silence. Têtes baissées, visages graves, fermés, les centaines de lycéens restent totalement immobiles, figés. Une courte salve d’applaudissements pour leurs élus et la cour se vide en un instant, en silence. Les enseignants, dont certains ont consacré une partie de leurs cours à l’attentat, convergent sur l’état d’esprit des jeunes: «Extrêmement atteints, choqués, abattus, inquiets.» «Sur les réseaux sociaux, nous avons vu des réactions choquantes, saluant l’attentat ou ciblant les musulmans, confirment des élèves d’une classe prépa littéraire. Nous avons peur des amalgames, peur du radicalisme.» Raphaelle, prof de lettres en classe prépa, l’assure : «Plus qu’un effet 11 Septembre, je ressens chez mes élèves un effet 21 avril 2002. La plupart sont déconnectés de l’actualité et connaissaient mal Charlie Hebdo, Wolinski et les autres. Désormais, ils savent. Charlie va devenir important pour eux.»
François Carrel (à Grenoble)

A TOULOUSE: «MARQUER NOTRE UNITÉ»

Trois mille personnes, selon la police, se sont rassemblées, ce jeudi, sur la place du Capitole. Dans la foule, il y a des élus de tous bords, PS PC UMP, en écharpe tricolore, mais aussi des représentants des cultes juifs et musulmans, et aussi des très jeunes, pour la plupart lycéens. Ces derniers ont accroché des dessins et des banderoles «Nous sommes Charlie» aux fenêtres du Capitole. Une femme voilée se penche pour allumer une bougie devant la reproduction d’un numéro de Charlie Hebdo.
Minute de silence place du Capitole Photo Ulrich Lebeuf. MYOPPlace du Capitole, ce midi. Photo Ulrich Lebeuf. MYOP
Kader Arif, ministre démissionnaire des anciens combattants du gouvernement Hollande «né dans une famille musulmane» est venu avec sa fille: «François Hollande a trouvé les mots justes pour rassembler les Français, dit-il. Bernard Maris, l’une de victimes de l’attentat était un ami de vingt ans.» Pierre Cohen, l’ancien maire de Toulouse PS visiblement ému, connaissait aussi très bien l’ancien prof de Sciences-Po Toulouse: «Il faut marquer notre unité face à la violence de cette attaque, dit-il. Charlie Hebdo est le symbole de la liberté d’expression dans un monde qui vacille.»
Minute de silence en hommage aux victimes de l'attentat contre Charlie Hebdo, le 8 décembre place du Capitole. A Toulouse. Photo Ulrich Lebeuf. MYOP
En retrait Adil, 25 ans observe la scène: «Ceux qui ont fait ça sont des terroristes tout courts. Pourquoi demander particulièrement aux musulmans de les condamner? Je me sens mis à l’écart, stigmatisé.» Plus loin Abdelatif Mellouki, représentant du Conseil français du culte musulman (CFCM) traduit de l’arabe au français les propos de l’iman marocain de la mosquée du Tabar, l’un des lieux de culte les plus fréquentés de Toulouse: «Dans mes prochains prêches je vais rappeler que l’islam est une religion de paix et tout faire pour convaincre ceux qui seraient tentés par le jihad, notamment chez les jeunes, de revenir à la raison avec l’esprit et le cœur», dit l’imam.
Jean Manuel Escarnot (à Toulouse)

A STRASBOURG: «LA GUEULE DE BOIS» 

Ils descendent des bureaux un à un, parfois en petits groupes serrés, les yeux bas. Les agents de la communauté urbaine de Strasbourg se massent sur le parvis du centre administratif, comme ils l’ont déjà fait la veille, quelques heures après l’attentat. Midi approche. On parle peu et quand les mots viennent, ils sont chuchotés. Un agent en fin carrière fume. Il souffle quelques mots. «C’est effrayant», «un symbole attaqué». «Je pense en même temps à tous ces musulmans de France, à toutes les autres minorités qui demain n’oseront plus sortir de chez elles», lâche-t-il. Il se dit «abattu», «inquiet pour le monde». Une employée, visiblement assaillie par la douleur ne parvient qu’à bredouiller quelques mots, elle parle d'«horreur»,d'«incompréhension».«La débilité», la coupe sa collègue Marie-Claude. Elle crache ses mots, elle est en colère. Emmitouflée dans sa doudoune, Marie-Claude refuse d’être inquiète, «ce serait faire le jeu des terroristes». N’empêche, elle pense à ses enfants, exposés «à toutes les conneries qui circulent sur le Web et que personne n’arrête».
TOPSHOTS
People observe a minute of silence in Strasbourg, eastern France on January 8, 2015 for the victims of an attack by armed gunmen on the offices of French satirical newspaper Charlie Hebdo in Paris on January 7 which left at least 12 dead and many others injured. A stunned and outraged France was in mourning yesterday, as security forces desperately hunted two brothers suspected of gunning down 12 people in an Islamist attack on a satirical weekly.  AFP PHOTO/FREDERICK FLORINA Strasbourg. Photo AFP
Sur les marches, Marie-Eve tient son fils par les épaules. «On est sous le choc, on a des histoires avec ces journalistes, des souvenirs. Ils sont dans nos vies. Cabu c’est mon enfance. C’étaient des gentils qui faisaient juste leur travail.» Elle pleure, ses collègues de la protection des mineurs aussi. «Moi, je pense à mon arrivée en France, je suis arrivée dans un pays libre, comme réfugiée politique, après avoir connu la dictature au Brésil», ajoute l’une d’elles, Cristina. A côté des policiers municipaux, quelques fonctionnaires s’alignent, tenant chacun une grosse lettre blanche sur fond noir. «Nous sommes Charlie». Le recueillement dure plusieurs minutes, on sanglote en silence. Catherine, le regard brouillé, est là pour dire son «attachement à la liberté d’expression, à la paix». Elle a vu que des mosquées ont été attaquées, elle redoutait «cette dérive, cette escalade de violence». «Aujourd’hui, il nous faut être vigilant, il y a un temps pour le deuil mais les messages devront rester, pour fédérer, rassembler durablement et éviter les amalgames». Elle s’interrompt, soupire : «En fait… la liberté, nos valeurs, l’héritage de 1789… c’est un acquis à défendre». Avec son fils adolescent, elle «explique, remet les bons mots».C’est sa manière de «se battre».
Alors que la foule se disperse, un petit groupe s’agite. Laurence dit «avoir la gueule de bois», elle est surtout «angoissée». Les portes du centre administratif sont toujours ouvertes, la mosquée pourrait être prise pour cible et elle est à deux pas d’ici… Fouiller les sacs à main à l’entrée, c’est inutile quand des fous furieux font interruption avec des kalachnikovs». Elle a regardé la télé toute la nuit, elle est fatiguée, sonnée par la violence des images, elle craint une attaque ici. Dans son service, on ne travaille plus vraiment depuis l’attentat, on guette l’info sur Internet, on parle. «J’ai un collègue musulman qui est atterré, il craint qu’on le dévisage désormais, d’avoir à se justifier pour prouver qu’il n’est pas un terroriste»,rapporte-t-elle. «Les racistes deviendront encore plus haineux. Et chez eux, il y a de dangereux illuminés», ajoute sa collègue, Myriame. Elle fait le rapprochement avec le 11 Septembre, «le même choc». Sa fille était alors dans les tours du World Trade Center. Elle a échappé à l’attentat, elle travaille aujourd’hui à Paris.
Noémie ROUSSEAU (à Strasbourg)

A PARIS: «GARDER LA TÊTE HAUTE»

Alors que les écoles du troisième arrondissement parisien tentaient de faire de ce jeudi une journée presque normale, des centaines de personnes, journalistes et passants, sont encore réunis autour de la statue de la République ce jeudi midi, au lendemain de la fusillade à «Charlie Hebdo». Il pleut. Certains brandissent leurs appareils photo ou leurs téléphones, hagards et confus, tandis que d’autres se recueillent devant une photo de Cabu affichée sur la place.
Ahmed, emmitouflé dans une écharpe rouge, est un artiste peintre d’une soixantaine d’années. Les yeux humides, il regarde les pancartes «Je suis Charlie» accrochées à la statue. Il peine à exprimer ce qu’il ressent: «Je suis atterré, je ne comprends pas comment on peut faire ça. Je suis venu hier soir, mais je tenais à revenir ici aujourd’hui, pour ne pas oublier. […] J’ai toujours lu Charlie Hebdo, ces dessinateurs sont exactement comme moi.»
Assise au pied de la statue, Livia, étudiante en théâtre, griffonne un message en lettres rouges et noires sur un carnet. Les mains engourdies par le froid, elle déchire la page pour la déposer au centre de la place, à côté des bouquets de roses, bougies et stylos qui jonchent le sol: «Je suis venue hier, mais je souhaitais prendre un peu plus de temps aujourd’hui pour laisser un témoignage, parce que l’encre doit continuer à couler. Je crois que la mobilisation véhicule un message d’espoir. Tous hier étaient mobilisés: les catholiques comme les musulmans.»Houria, jeune fille en service civique, est venue avec son amie Chaïmaa. Elle est venue manifester «pour la liberté». «Maintenant, en tant que musulmans, on a toujours plus de choses à prouver», dit-elle.
A midi, c’est la minute de silence. Hommes, femmes, vieux et jeunes se tiennent la main sous les caméras de télévision. Le silence n’est perturbé que par le bruit des voitures. Des applaudissements mettent fin recueillement, retombent, puis repartent de plus belle, pendant qu’une église voisine sonne le glas. La foule commence à se disperser, mais des gens continuent d’affluer sur la place. Certains portent «Je suis Charlie» affiché sur le dos. Une vieille dame dépose un crayon d’écolier parmi les bougies et les roses, suivie par une femme les larmes aux yeux: «C’étaient de grands illustrateurs. Ils sont immortels.»
Trois femmes s’apprêtent à quitter la place. Elles ont interrompu leur formation dans le quartier pour venir «défendre la liberté des journalistes».«Même si parfois j’étais choquée par leurs dessins, je voulais venir pour défendre la liberté d’expression» dit l’une. «C’est notre 11 Septembre à nous», ajoute l’autre.
Devant les locaux de Charlie Hebdo, dans le XIe arrondissement, les applaudissements plus longs que le silence. Tout un symbole. Aujourd’hui à midi la foule réunie à proximité de la rue Nicolas-Appert, celle des locaux de Charlie Hebdo,a tenu à faire passer un message. Charlie vivra. Ce rassemblement, à l’initiative du Syndicat national des journalistes (SNJ) a rassemblé environ 200 personnes dans le petit passage Saint-Anne Popincourt, adjacent à une rue Nicolas-Appert, toujours barrée par la police.
La minute de silence a été religieusement respectée, seulement troublée par le bruit de la pluie qui tombait dru, renforçant ainsi l’ambiance tragique qui régnait. «La pluie cachera nos larmes», avait prévenu un représentant du SNJ. «C’est Dieu qui nous bénit tous, quelle que soit notre religion», lui a répondu un spectateur au milieu de la foule. Après cette minute de silence, un autre représentant syndical a demandé une minute d’applaudissement en hommage aux douze victimes de l’attentat. Les applaudissements chaleureux, complétés par ceux des riverains qui se trouvaient à leur balcon, ont finalement duré trois minutes.
«C’est important pour nous d’être là, on veut défendre la liberté d’expression»,raconte Léa, 17 ans. Avec deux camarades de classe, cette élève de Terminale n’a pas hésité à sécher les cours et à venir depuis Champs-sur-Marne (77), à près d’une heure de Paris. S’ils reconnaissent ne pas lire Charlie Hebdo, ils expliquent avoir beaucoup lu les BD de Cabu dans leur enfance. «Et puis on est là pour nos parents aussi, ajoute Léa. On sait que, eux, ils ont grandi avec Charlie.» Son ami Clément:«On est quand même sensibles au travail des caricaturistes. On a étudié beaucoup de caricatures en cours.» Si les trois amis trouvent normal de sécher les cours pour une occasion comme celle-ci, ils regrettent que plus de jeunes n’aient pas pensé comme eux.
Paris, le 8 janvier 2015
Le lendemain de la fusillade a Charlie hebdo
Parvis de la cathédrale Notre-dame, Minute de silence pendant que le tocsin de la cathédrale sonne.
ACCORD INTERNET Commande 2015 0029Sur le parvis de Notre-Dame, à Paris. Photo Sebastien Calvet
Les cloches ont sonné le glas plus d’un quart d’heure. Sur le parvis de Notre-Dame, Florence avait «envie de bouger, d’agir. J’espère que les Français vont se mobiliser, c’est un instant très grave». Isabelle et Béatrice, la quarantaine, se cachent tant bien que mal de la pluie battante. Isabelle: «Le glas de Notre-Dame, cela rassemble tous les parisiens aux heures sombres. Et, dans mon cas, c’est aussi un moment de prière pour les défunts.»
Dans l’assemblée, un cri retentit: «Je suis Charlie!» Des stylos et des crayons sont tenus à bout de bras. Un groupe de jeunes se rassemble et forme un cercle. A la fin du glas, la foule applaudit. Sadi, 31 ans, géologue en vacances, est venu spécialement à Notre-Dame: «Je suis algérien kabyle, cela me rappelle les années noires en Algérie où ils ont tué plein de gens.» Et de citer Tahar Djaoud: «Le silence c’est la mort et toi, si tu te tais, tu meurs, et si tu parles tu meurs, alors dis et meurs.»
Anne-Marie et Jean-Daniel sont venus de banlieue «pour montrer qu’on reste debout. C’est une atteinte à la démocratie que d’aller tuer des gens qui se battent avec leur crayon et leur gomme». Laure, 55 ans, historienne, trouve «cela bien que l’église catholique ait voulu s’associer à cette cérémonie, car ils n’ont pas été épargnés par Charlie qui les a souvent caricaturés». Elle poursuit: «Le glas, c’est quand même réservé aux périodes de guerre, c’est assez symbolique d’être là.»
Marthe, juriste, est présente avec sa mère Nicole. Elle raconte: «On est venus pour prier, se recueillir, car on n’a pas pu aller Place de la République hier. Les gens n’ont pas eu peur de se réunir pour soutenir la liberté de la presse. Il faut surtout que toutes les pensées politiques se rassemblent pour garder la tête haute et rester libres». Jean-François, retraité, confie que «cela [le] touche de plus près. Charliereprésente ma jeunesse, ma génération. Ils n’ont jamais fait de mal à personne. Quels que soient les discours, les écrits les photos, eux, ils ont trouvé peut-être un moyen qui dérange, mais ils avaient la force de dénoncer».
Didier Arnaud, Pierre Benetti, Camille Kaelblen et Léo Mouren

A LIMOGES: «ILS AURAIENT ÉTÉ TRÈS FIERS»

A Limoges les mobilisations en soutien à Charlie Hebdo se multiplient, sans faiblir. En moins de vingt-quatre heures plus de 15 000 personnes se sont rassemblées en divers endroits symboliques de la ville: à la Mairie, place de la République et au pied du Cèdre de la Liberté. Jeudi matin, l’appel lancé aux journalistes par le club de la presse à se réunir devant cet arbre dans un parc public a été entendu bien au-delà des rangs de la profession. De tous les âges et de tous les horizons ont afflué près de 10 000 personnes.
Le silence, si bruyant, y a mis en relief chaque détail de l’humanité ici rassemblée comme autant de pulsations, vivantes, chaleureuses, enveloppantes. Parmi eux, de nombreux policiers, visages fermés, et en contrepoint les traits poupins de centaines de jeunes. On y a vu deux lycéennes radieuses escortées d’une femme aux cheveux couverts d’un foulard, qui portaient, les bras en extension et le corps tendu, une pancarte où l’on pouvait lire «Ceci n’est pas notre Islam».
Gérard Vandenbroucke, président de la région Limousin et grand artisan du Salon international de la caricature, du dessin de presse et d’humour, dont Cabu et Wolinski avaient été plusieurs fois les invités, a commenté «ils auraient été très fiers de voir tous ces jeunes».Dans leurs cheveux, les femmes avaient noué des crayons, des feutres, des stylos; tandis que les journalistes ont pointé leur carte de presse vers le ciel. Rappelant ce lien sensible et personnel qu’on entretient avec un journal, chacun était venu avec le sien. Charlie bien sûr, mais aussi Libé, l’Equipe, et les quotidiens locaux, comme un linceul ont recouvert chaque coin d’herbe verte de papier noir. Au loin, c’est le cri d’une adolescente qui a déchiré le silence. «On est qui ?» Et la foule de scander pendant de longues minutes «On est Charlie!»
Julie Carnis (à Limoges)
Libération