samedi 6 décembre 2014

Interview exclusive : Abdelmalek Sellal : « Les prochaines années seront celles de la mue de l’économie algérienne »


Dans un entretien exclusif à bâtons rompus, le premier ministre Abdelmalek Sellal évoque tous les sujets dont dépend l’avenir de son pays : l’après-pétrole, la ré-industrialisation, la République sociale, la lutte contre la corruption, le partenariat avec la France, la diaspora, la sécurité dans le monde arabe et le Sahel, le respect des souverainetés nationales, la place de l’Afrique dans la mondialisation…

Depuis la visite d’État du président François Hollande en Algérie et la signature de la déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre les deux pays, le 20 décembre 2012, les relations bilatérales semblent au beau fixe. « Un partenariat stratégique scellé à cette occasion, et qu’il s’agit désormais de faire fructifier », selon l’expression de l’ambassadeur de France à Alger. Comment voyez-vous l’avenir de ce partenariat avec la France ?
Les relations bilatérales entre l’Algérie et la France sont correctes et évoluent d’une manière positive, dans le respect mutuel. En sus de la poursuite du dialogue stratégique et de la concertation politique sur les questions d’intérêt commun, les deux chefs d’État ont exprimé leur volonté de donner une impulsion supplémentaire au partenariat algéro-français et de lui conférer une dimension « exceptionnelle ».
Les domaines dans lesquels s’opère actuellement la coopération entre l’Algérie et la France sont nombreux, mais nous sommes convaincus que beaucoup d’opportunités de complémentarité subsistent encore et restent à explorer. Notamment en matière de partenariat économique, d’échanges scientifiques et culturels et de transfert de savoir-faire.
L’adoption par les deux gouvernements d’instruments juridiques équilibrés et mutuellement bénéfiques, constitue le socle de ce partenariat rénové. Il s’agit maintenant de mettre en relation les intervenants des deux pays des sphères académique et économique et de les accompagner dans leurs projets et réalisations.
La volonté politique existe et les potentialités matérielles et technologiques sont importantes. Donc, il y a tout lieu de penser que les perspectives de partenariat entre les deux pays sont très prometteuses.
La première session du comité intergouvernemental de haut niveau s’est tenue le 16 décembre 2013 à Alger. La deuxième réunion se tiendra début décembre à Paris. Cette institutionnalisation de la coopération est-elle le signe d’une entrée des relations bilatérales dans une nouvelle ère de pragmatisme, loin du débat passionnel mais néanmoins légitime sur le conflit des mémoires ?
Le comité intergouvernemental de haut niveau a été institué afin de donner un cadre dynamique à la coopération entre l’Algérie et la France. Il permet d’évaluer le partenariat entre les deux pays, de le consolider et de le développer à travers l’exploration de pistes nouvelles et diversifiées de coopération.
Chaque nation a son histoire, et celles de nos deux pays se sont entremêlées pendant de longues années, au point où une grande partie des citoyens français portent en eux, aujourd’hui, une culture et des attaches algériennes. Il est également tout à fait normal que la lecture de ces événements diffère des deux côtés de la Méditerranée et selon le point de vue historique, politique ou sociétal.
Les gouvernants ont, pour leur part, la responsabilité d’œuvrer pour le bien de leurs concitoyens dans l’affirmation de leur identité, de leur culture et de leur histoire. Je pense que la franchise et le respect mutuel nous permettront, en Algérie et en France, de travailler ensemble pour obtenir des résultats positifs et bénéfiques pour les peuples des deux pays.
Lors de votre dernière visite en France, dans le cadre du Sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, vous vous êtes adressé aux représentants de la communauté algérienne en France en les invitant à investir en Algérie. Vous avez, à cette occasion, réitéré l’engagement de l’État à mener la guerre contre la « dictature de la bureaucratie ». Comment comptez-vous mener à terme ce chantier ?
Les entrepreneurs algériens de l’étranger ont l’avantage de la connaissance du pays, de son marché et de sa sociologie. En plus, nous sommes en train de réfléchir à l’organisation des entrepreneurs et de la communauté scientifique et technique algérienne à l’étranger en associations susceptibles d’être l’interface des autorités compétentes et des entreprises nationales.
Le réseau diplomatique et consulaire est pleinement mobilisé pour être à l’écoute de notre diaspora, répondre à ses besoins et relayer ses propositions, dans le cadre d’un partenariat qui portera sur la création d’entreprises, la prise de participations dans des sociétés algériennes, le transfert de compétences technologiques et managériales et la création de pôles de compétitivité.
La réforme de nos services publics est une priorité de premier ordre. Notre objectif est que tous les Algériens puissent bénéficier de services identiques et aux standards internationaux, quels que soient leur condition sociale ou leur lieu de résidence sur le territoire national. Des actions en faveur de la transparence et de la simplification réglementaires et procédurales ont été conduites et été accueillies favorablement par les citoyens.
C’est une bataille que nous mènerons jusqu’au bout, car la bureaucratie est le terreau de l’arbitraire et de la corruption. Je sais que certaines habitudes ont la peau dure et que notre volonté de réformer le service public va se heurter à des résistances. Mais notre détermination en la matière est totale, car il s’agit de redonner confiance aux Algériens dans l’administration de leur pays et de leur permettre de participer à son développement et à son essor. C’est là l’engagement électoral du président de la République, et nous œuvrons sans relâche pour le mettre en œuvre.
Vous avez déclaré, à plusieurs reprises, que l’Algérie est et restera une « République sociale ». Cela est-il compatible avec la mondialisation et la compétitivité ? Comment concilier ces deux impératifs ?
Vous évoquiez dans une question précédente la guerre de libération dont l’Algérie célèbre cette année le soixantième anniversaire du déclenchement. Je vous rappelle que le premier objectif fixé par l’appel du 1er novembre 1954 est l’édification d’un État démocratique et social.
La dimension sociale de l’action des pouvoirs publics en Algérie est essentielle. Il faut toujours garder à l’esprit que notre pays sort d’une décennie très douloureuse qui a beaucoup retardé notre développement socio-économique. Nous devons accompagner nos concitoyens – surtout les couches défavorisées – pendant ce processus de transformation et de diversification de notre économie. Celui-ci doit, au final, profiter à tous les enfants du pays.
La France considère l’Algérie comme une terre d’opportunités. Quelles sont les mesures concrètes que votre gouvernement a prises et compte prendre pour inciter les investisseurs étrangers en général, et français en particulier, à s’impliquer davantage ?
Les prochaines années seront celles de la mue de l’économie algérienne. La législation algérienne est des plus avantageuses en matière de facilitation et de protection des investissements directs étrangers. Les pouvoirs publics affichent aussi une volonté ferme pour encourager les partenariats des entreprises nationales, publiques ou privées, avec des opérateurs étrangers. Ils mettent à la disposition de ces joint-ventures des aides considérables dans les domaines du foncier, du financement et de la fiscalité.
Les opérateurs économiques français sont les bienvenus pour nous accompagner dans cette ambitieuse entreprise. Leur expérience et leur savoir-faire ne sont plus à démontrer, et les expériences de certains d’entre eux en Algérie sont toutes des réussites. Que ce soit dans la pétrochimie, l’énergie, les travaux publics, les services, l’agriculture ou d’autres domaines encore, les opportunités pour les investisseurs français de faire de très bonnes affaires existent et sont nombreuses. À eux de les saisir en faisant preuve d’audace et de créativité. On a déjà concrétisé plusieurs partenariats mutuellement bénéfiques, et on continuera d’avancer sur cette voie.
La restructuration de l’économie algérienne s’est accélérée ces deux dernières années. Pouvez-vous nous décrire la stratégie à moyen terme du gouvernement ?
Conformément aux programmes du président de la République, nous devons construire une économie diversifiée, émergente, et atteindre à l’horizon 2019 un taux de croissance de 7 %. Nous devons aussi poursuivre la baisse continue du chômage que notre pays enregistre depuis plus de dix années.
Le plan d’action du gouvernement vise à promouvoir la production nationale en réunissant d’abord les conditions pour améliorer la compétitivité. La mise en œuvre de la politique économique nationale repose sur trois piliers : le pacte national économique et social signé le 23 février 2013, cadre de concertation, de dialogue et de construction des synergies ; le plan quinquennal 2015-2019 ambitieux en cours de lancement, instrument de planification souple, efficace et orienté vers la croissance économique ; le soutien des filières innovantes et à fort potentiel d’intégration et l’encouragement de l’investissement dans la sphère marchande.
Depuis des décennies, l’Algérie cherche à diversifier son économie et à se libérer de la dépendance des hydrocarbures. Comment votre gouvernement compte relever ce défi ?
Chaque pays dans le monde valorise ses avantages comparatifs et en tire profit. L’Algérie est un acteur énergétique important et entend le demeurer.
Nos revenus d’hydrocarbures ont été orientés vers la réalisation de projets structurants et de grandes infrastructures de base afin de nous permettre de rattraper le retard accumulé durant la décennie du terrorisme et de préparer justement l’économie nationale à l’après-pétrole. Cela en la dotant du maximum de garanties de réussite telles qu’une indépendance énergétique sécurisée, des équipements publics performants, un tissu industriel compétitif et productif ainsi que des investissements très importants dans le développement des ressources humaines et la formation. On a réalisé là un capital important.
Quelles sont les étapes de l’exploitation du gaz de schiste, dont l’Algérie recèle d’importants gisements ?
Notre position par rapport au gaz de schiste n’est pas dogmatique. Nous croyons aux vertus du pragmatisme et du bon sens. Si l’exploitation des ressources d’hydrocarbures non conventionnelles est bonne pour l’Algérie et les Algériens, nous l’engagerons sans complexe.
Pour l’instant, nous nous attelons à évaluer avec précision les ressources nationales en la matière et à intégrer et maîtriser les multiples techniques de prospection et de production afin de garantir une exploitation optimale et la préservation de notre environnement et de nos écosystèmes.
 
On assiste, ces derniers mois, à un début de remake de la « guerre des prix du pétrole » qui avait mis à mal l’économie algérienne dans les années 1980. L’Algérie est-elle prémunie contre un tel scénario ?
Il est vrai que le marché pétrolier mondial traverse une période de grandes fluctuations qui est plus due, à mon avis, à des considérations politiques et géostratégiques qu’à des paramètres strictement économiques.
Avant même l’avènement de cet épisode baissier des prix des hydrocarbures, le gouvernement algérien avait inscrit dans son plan d’action la préservation des équilibres macro-économiques et financiers de notre pays, en tant qu’objectif essentiel.
Tout en demeurant attentive aux évolutions des marchés mondiaux et poursuivant son action de concertation au sein de l’Opep, l’Algérie est en mesure de conduire son programme de développement et d’honorer ses engagements en matière de développement. La croissance hors hydrocarbures est maintenant une réalité et un objectif stratégique en Algérie.
 
L’après-pétrole a commencé. Quels sont les domaines prioritaires choisis par le gouvernement ?
Ils sont au nombre de quatre : la relance de la base industrielle, l’agriculture, l’énergie et le tourisme. Mon pays dispose dans ces filières d’activité d’avantages comparatifs certains qui ont suscité l’intérêt de plusieurs de nos partenaires.
Des programmes de développement, de mise à niveau et d’accompagnement des opérateurs désirant investir dans ces domaines ont été mis en place et sont aujourd’hui opérationnels.
 
Quel rôle jouera la pétrochimie dans la ré-industrialisation du pays ? Quels sont les grands projets à venir ?
L’Algérie doit développer son industrie de pétrochimie et donner de la valeur ajoutée à ses ressources naturelles en hydrocarbures pour satisfaire les besoins de son marché local et diversifier ses exportations.
Le partenariat public et privé avec des opérateurs étrangers de renom a été la formule que nous avons privilégiée pour développer cette industrie au fort potentiel d’intégration. De nombreux projets dans les domaines pétrochimiques ont été réalisés et d’autres pour la production de phosphates et de nitrates sont en cours de montage à Oran, Annaba, Skikda et Tébessa.
 
La décolonisation du Sahara Occidental est encore à l’ordre du jour. L’Algérie pourrait-elle jouer un rôle de facilitateur, aux côtés de l’Onu, entre le Maroc et le Polisario pour parachever le processus ?
La souffrance du peuple sahraoui a trop duré. La position de mon pays sur cette question est claire et constante. Nous soutenons le processus pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination sous l’égide des Nations unies, et nous espérons qu’il sera mené à son terme. Nous restons attachés à la légalité internationale pour le règlement de ce conflit qui oppose le peuple sahraoui au royaume du Maroc.
L’Algérie ne ménagera aucun effort et apportera, dans le respect de la légalité internationale, sa contribution au règlement de ce dernier dossier de décolonisation dans le continent africain.
 
Aujourd’hui, l’Algérie fait office de pompier face aux divers incendies allumés à ses frontières par des pyromanes, au nom de la démocratie. Comment jugez-vous l’évolution de la situation en Tunisie, en Libye et dans les pays du Sahel ? Quel rôle joue l’Algérie dans la stabilisation de ces foyers d’incendie ? Êtes-vous sur la même ligne avec Paris ?
Les événements qu’ont connus la région arabe et le Sahel ont confirmé la pertinence des positions de l’Algérie. La paix et la stabilité constituent le socle indispensable de toute avancée démocratique ou développement socio-économique, de même que seule la volonté souveraine et indépendante des peuples peut engendrer le progrès et la paix dans le monde.
Notre pays soutient et soutiendra tous les processus politiques de dialogue inclusif et de réconciliation engagés par les pays amis et voisins, dans le respect de la légalité internationale, du principe de non-ingérence et l’intégrité territoriale de ces pays.
Nous nous réjouissons des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’élection présidentielle en Tunisie et nous espérons que ce rendez-vous démocratique important constituera une étape majeure dans la marche de ce pays frère vers la stabilité et le progrès.
 
L’Algérie et l’Afrique, quelles évolutions ?
Il est essentiel de sortir des clichés et des idées reçues. Réduire l’Afrique à un simple réservoir de matières premières serait une grave erreur. Je suis de ceux qui pensent que l’Afrique est aujourd’hui en mouvement, et dans bien des domaines ce berceau de l’humanité façonnera l’avenir du monde.
D’ailleurs, beaucoup de partenaires dans le monde commencent à regarder l’Afrique au-delà de la simple façade des tensions sécuritaires et des carences de développement, et à prendre la mesure de son formidable potentiel humain, naturel et stratégique.
Dans le cadre du mécanisme du Nepad [Nouveau partenariat pour le développement économique de l’Afrique, ndlr], dont le président Abdelaziz Bouteflika a été l’un des initiateurs, l’Algérie travaille à la promotion du partenariat Sud-Sud et à l’émergence de modèles de développement afro-africains. L’avenir de l’Algérie se construira aussi en Afrique.
Afrique Asie.fr

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